Enough project: Une étude sur un Etat dit criminel  au cœur de l’Afrique

Depuis le 20 octobre 2016, une étude circule sur Internet. En lisant calmement cette étude, il y a lieu de lire qu’elle est ‘’un rapport’’ comme plusieurs autres l’ayant précédé. La nature kléptocratique du régime de Joseph Kabila (et de son prédécesseur) apparaît  déjà dans les premiers rapports des experts de l’ONU. En 2002, le rapport Kassem traitait déjà du ‘’réseau d’élite de prédation’’ auquel plusieurs membres actuels de  ‘’la kabilie’’ participait. En 2006, une étude intitulée ‘’L’Etat contre le peuple’’ dénonçait les crimes économiques commis par ce ‘’réseau’’ et ses clients. Les commissions Lutundulu et Bakandeja, en leur temps, ont fait le même travail documenté. Le rapport Mapping de 2010 a été beaucoup plus documenté que les autres. Il a réussi à enrichir la nature des crimes commis au Congo-Kinshasa de 1993 à 2003. Tout ça pour quel résultat ?  Les crimes économiques, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre commis par les membres de ce ‘’réseau d’élite et leurs alliés’’ sont restés impunis. Pourquoi ?

 Depuis le 20 octobre 2016, une étude circule sur Internet. Elle est intitulée : «Un Etat criminel : comprendre et lutter contre la corruption institutionnalisée et la violence en République démocratique du Congo. » Ce texte de 121 pages (en anglais) donne l’impression d’être très bien documenté. Il a une bibliographie très riche. Un petit résumé en est donné en français. Il est suivi de quelques recommandations.(http://www.enoughproject.org/files/Un_Etat_Criminel_Octobre2016.pdf) Ce texte nous intéresse dans la mesure où il pose une question importante à nos yeux : la pérennité d’un Etat criminel au cœur de l’Afrique depuis le règne de Léopold II jusqu’à ce  jour. Ce régime est fondé sur l’évidement de l’Etat de toute sa substance pour créer des espaces de vol, de violence et d’impunité. Citons les autres. Ils écrivent ceci : « Fondée sur  des recherches historiques et de terrain, cette étude soutient que le président Kabila et ses proches collaborateurs s’appuient dans une large mesure sur le vol, la violence et l’impunité pour rester au pouvoir, au détriment du développement du pays. Depuis le règne du roi Léopold, les hauts fonctionnaires congolais et leurs associés ont créé sept piliers qui sous-tendent cette kléptocratie. »

Dans une certaine mesure, cette étude tombe à point nommé. Elle est menée au moment où ‘’la kabilie’’ a eu recours à une clientèle composée de 300 congolais(es) pour décider du futur proche du pays, en marge des délais convenus par un texte considéré par une bonne partie de la population congolaise comme étant ‘’la loi fondamentale’’.

En lisant les sept piliers de la kléptocratique organisée par ‘’la kabilie’’ depuis la guerre de l’AFDL, il ressort que ce choix est faite consciencieusement. Il est lié à la peur de tout perdre. Le deuxième pilier est le suivant : « Rester au pouvoir ou prendre le risque de tout perdre. Si elles quittent le pouvoir, les élites et associées au régime courent le risque de perdre leurs biens mal acquis et l’immunité qui les place à l’abri de poursuites judiciaires. Les mouvements prodémocratiques sont dès lors réprimés, souvent par la violence, car ils représentent une menace pour le système corrompu. »  ‘’Le dialogue’’ et ‘’l’accord ‘’ qui en est issue se comprend mieux à partir de ce pilier et d’un troisième qui soutient  ceci : « S’assurer que les élites associées au régime aient peu, voire pas, de comptes à rendre. L’impunité est le ciment qui assure la cohésion du système. Les institutions judiciaires ciblent es opposants au régime ou les personnalités peu influentes, et non les auteurs de délits graves en matière de corruption ou de violations des droits de l’homme. »

Cette étude balaie d’un revers de la main l’argument de manque de moyens auquel ‘’la kabilia’’ et sa clientèle ont souvent eu lieu pour justifier le report des élections. Elle note ceci : « Au cours du mandat de Kabila, jusqu’à 4 milliards de dollars par an se sont volatilisés ou ont été volés du fait de manipulations des contrats miniers, des budgets et des actifs de l’État… » Si nous prenons en compte le fait que Monsieur Joseph Kabila joue son rôle de mercenaire au Congo-Kinshasa depuis 2001 et que nous multiplions  ses quinze ans de pouvoir usurpé par 4, nous obtenons une somme de 60 milliards de dollars dont l’immense majorité de Congolais(es) n’a pas pu profité. Donc, de l’argent volé des caisses de l’Etat raté congolais.

Selon cette étude, ce vol,  et la corruption qu’il entraîne, est entretenu, non seulement par les élites  ou autres hautes fonctionnaires congolais. Ils ont des alliés. Elle note ceci : « Ces régimes se sont alliés à des acteurs commerciaux pour dépouiller le peuple congolais de ressources naturelles précieuses qui lui revenaient de droit. Les partenaires internationaux de ces élites politiques en ont aussi largement profité, certains d’entre eux par le versement d’importants pots-de-vin. Ainsi, dans un récent accord sur le plaidoyer du département de la Justice des États-Unis, le hedge fund américain Och-Ziff a affirmé que certains de ses partenaires commerciaux, parmi lesquels l’homme d’affaires israélien Dan Gertler, selon des sources proches du dossier, avaient versé plus de 100 millions de dollars de pots-de-vin à des fonctionnaires congolais en échange de l’obtention de concessions minières d’une valeur de plusieurs milliards de dollars à des prix très bas »  Les pays voisins, le Rwanda et l’Ouganda sont aussi nommément cités. Ils ont participé activement à la guerre ayant produit des millions des morts au Congo-Kinshasa  et au pillage des ressources naturelles de ce pays.

En lisant calmement cette étude, il y a lieu de lire qu’elle est ‘’un rapport’’ comme plusieurs autres l’ayant précédé. La nature kléptocrate du régime de Joseph Kabila (et de son prédécesseur) apparaît  déjà dans les premiers rapports des experts de l’ONU. En 2002, le rapport Kassem traitait déjà du ‘’réseau d’élite de prédation’’ auquel plusieurs membres actuels de  ‘’la kabilie’’ participait. En 2006, une étude intitulée ‘’L’Etat contre le peuple’’ (http://www.congovision.com/images/NIZA.pdf) dénonçait les crimes économiques commis par ce ‘’réseau’’ et ses clients. Les commissions Lutundulu et Bakandeja, en leur temps, ont fait le même travail documenté.

Le rapport Mapping de 2010 a été beaucoup plus documenté que les autres. Il a réussi à enrichir la nature des crimes commis au Congo-Kinshasa de 1993 à 2003. Tout ça pour quel résultat ?  Les crimes économiques, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre commis par les membres de ce ‘’réseau d’élite et leurs alliés’’ sont restés impunis. Pourquoi ?

Avant de répondre à cette question, voyons ce que l’étude d’Enough Project propose. Pour ses initiateurs, « si les décideurs internationaux veulent réellement peser sur le cours des choses et aider les réformateurs congolais à amender le système, il est impératif qu’ils changent de regard. Ils doivent voir la situation actuelle au Congo comme la dernière itération d’un modèle de violence et de corruption établi de longue date, et réagir en conséquence. Les politiques menées doivent se focaliser sur la mise en place d’un cadre plus coercitif pour les principaux instigateurs de la violence et de la corruption, qui sapent la démocratie. Il est possible d’y parvenir en instaurant de nouveaux leviers grâce à des outils de pression financière normalement réservés à la lutte contre la prolifération nucléaire et le terrorisme. Il s’agit d’isoler certains dirigeants du système financier international et d’accroître le soutien apporté aux journalistes et aux organisations issues de la société civile congolaise afin de contraindre le

gouvernement à rendre compte de ses actes. »

L’étude détaille cette proposition en mentionnant les USA, l’Union Européenne, le conseil de sécurité de l’ONU, la communauté de développement de l’Afrique australe, le FMI, etc. parmi les décideurs pouvant, en appliquant des sanctions, des pressions financières et d’autres méthodes coercitives, aider le Congo-Kinshasa à instaurer un Etat fonctionnel, capables de satisfaire aux besoins des citoyens. La CPI n’est pas en reste. « La Cour pénale internationale (CPI), les États-Unis, les nations d’Afrique centrale et d’Afrique de l’Ouest, et les États européens devraient recourir à des instruments judiciaires afin de cibler les auteurs d’actes violents, d’engager des poursuites en cas de crimes liés à la corruption et de soutenir les stratégies visant les affaires de crimes d’atrocité, et plus particulièrement les biens volés par les responsables de crimes graves, afin d’imposer un véritable mécanisme de responsabilité. »

Toutes ces recommandations sont trop belles pour être vraies et applicables.

Cette étude a l’avantage de revenir sur certains lieux communs tels que l’engagement pour la lutte contre l’impunité, l’appel à l’avènement d’un Etat responsable capable des redditions  de compte, etc.

Néanmoins, elle demeure une étude de l’histoire officielle conduisant à des recommandations trop belles pour être justement applicables et passant à côté des pans entiers de la mémoire collective congolaise.

Rappelons l’un ou l’autre élément de cette mémoire. En 1885, Berlin n’associe pas les Congolais(es) à la partition de l’Afrique et à la création de leur pays comme ‘’réserve des matières premières des grandes puissances’’, comme ‘’terra nullius’’.

Depuis 130, rien ou presque rien  ne se fait au Congo-Kinshasa sans que ‘’les décideurs internationaux’’ ne soient de près ou de loin (dans l’ombre) impliqués. Ils sont les acteurs majeurs de la traite négrière, de la colonisation, de la néocolonisation et du mondialisme. Ils ont, au cours de l’histoire, associé (ou coopéré avec ?) des  acteurs mineurs et/ou apparents comme ‘’vassaux’’, ‘’nègres de service’’ ou ‘’élites compradores’’. La traite négrière, la colonisation, la néocolonisation et le mondialisme ont servi, comme idéologies de néantisation, d’indignité et d’entretien du racisme anti-noir, le système capitalisme cher aux  ‘’décideurs internationaux’’. Ce système fondé sur le mépris de l’humanité de l’autre, sur la cupidité et sur la volonté hégémonique occidentale doit sa vie et sa survie au vol, à la violence et à la corruption institutionnalisées. Dans cet ordre d’idées, appliquer les recommandations d’Enough Project aux élites, aux hauts fonctionnaires et aux autres criminels congolais impliquerait, de près ou de loin, la fin du mondialisme, la reconnaissance du Congo-Kinshasa comme pays souverain et la mise au banc des accusés des ‘’petites mains’’ du ‘’turbo-capitalisme’’ et la promotion d’un monde multipolaire. La dimension transnationale du vol, de la violence et de la corruption institutionnalisées au Congo-Kinshasa devrait être prise en compte par ces recommandations.

N’oublions surtout pas que depuis plus de 130, de Léopold II à Paul Kagame, comme dirait Boniface Musavuli, il se commet des ‘’crimes organisés’’, des ‘’génocides’’  au cours des ‘’ guerres secrètes des grandes puissances en Afrique’’ ; lesquelles sont aussi ‘’les guerres secrètes de la politique et de la justice internationale’’. Un procès juste mené contre ‘’les vassaux’’, ‘’les nègres de service’’ et ‘’les élites compradores’’ au Congo-Kinshasa devrait, en principe, avoir des incidences chez   ces puissances du Nord. Voilà pourquoi il n’aura jamais lieu tant que le Congo-Kinshasa sera encore entre les mains des proxys des ‘’décideurs internationaux’’.

Que pourrait poursuivre Enough Project en publiant son texte sur l’Etat criminel congolais ?  Cette ONG s’adonne à une lecture officielle de l’histoire du Congo-Kinshasa tout en restant dans le schéma de la soumission du marché congolais aux ‘’décideurs internationaux’’. Sur ce marché, certains journalistes et autres défenseurs des droits de l’homme pourraient, au nom de la démocratie, dénoncer le vol, la violence  et la corruption institutionnalisées afin de permettre aux ‘’décideurs internationaux’’ de faire, seuls, main basse sur les terres, les forêts, les eaux et les airs du Congo-Kinshasa. Enough Project pourrait chercher la réalisation effective du ‘’Congo Act de 2006’’ où « il est écrit que le gouvernement américain doit intervenir directement dans les zones grises du Congo. » (R. CUSTERS, Chasseurs de matières premières, Bruxelles, Investig’Action, 2013, p. 211). Cette intervention directe marche de pair avec la privatisation  de ces zones ou leur balkanisation de façon que le Congo n’ait pas un droit de regard sur les ressources  naturelles qui y sont exploitées. La contribution de Raf Custers  sur  ces questions mérite d’être prise au sérieux.

Pour dire les choses autrement, ‘’la guerre par morceau’’ commencée en 14-18 par ‘’les décideurs internationaux’’ pour l’or, l’argent, le pétrole, etc. (comme dirait le Pape François) se poursuit au Congo-Kinshasa. La remise en question de l’Etat criminel congolais participe de cette guerre. Elle évite d’atteindre le système qui le génère depuis 130 et s’attaque aux acteurs apparents interchangeables. Elle fait allusion aux contrats signés entre le Congo et la Chine  comme pour dire que ce pays risque d’avoir un partenaire géostratégique ‘’dangereux’’. Ce pays, la Chine, est impliqué dans la lutte pour un monde multipolaire, respectueux de l’égalité souveraine des Etats. ‘’Il est dangereux’’. Il pourrait aider le Congo à échapper au contrôle hégémonique de l’Occident.

Rappelons-nous que la crise de légitimité dont souffre le pays jusqu’à ce jour est en grande partie liée à l’assassinat de Lumumba, accusé  pour son rapprochement de l’URSS. L’histoire passée ne passe pas au Congo-Kinshasa. (à suivre)

 

Mbelu Babanya Kabudi

1 Comments

  1. Un travail bien fait, relatant les faits réels, les causes, concernés, auteurs de la mafia au sommet de l’état, ainsi que complicité des « amis » occidentaux, empêchant la Chine a s’ingérer au partage du bon gâteau et le miele..!

1 Trackbacks & Pingbacks

  1. INGETA | Le paradigme léopoldien et les crimes commis au Congo-Kinshasa

Leave a comment

Your email address will not be published.


*